17 Novembre 2016
Gilles Clément ou la vie d'un jardinier planétaire
par
Dominique Delajot
dominique.delajot@centrefrance.com
Recherche iconographique : m.carlue@free.fr
La Vallée aux papillons est un paysage. Un lieu d'enfance où Gilles Clément, petit, allait observer les insectes. C'est là, sans doute, qu'a germé l'idée d'un éternel port d'attache. Un lieu nécessaire pour un écrivain voyageur.
La Vallée, c'est un bijou sur les rives de la grande baignoire du lac d'Éguzon, là où il plonge volontiers et se lave comme dans sa salle de bain. Gilles Clément a bâti sa maison à proximité de Crozant, dans la Creuse. Elle reste le foyer d'un homme planétaire. Une fois l'ouvrage achevé, il a fermé la porte et il est parti faire le tour du monde.
Jardinier, paysagiste, humaniste, écrivain, il semble tisser une toile autour d'une terre qu'il ne cesse de parcourir encore aujourd'hui. Il s'y promène sur cette planète, il observe et puis il rentre à la Vallée. Sur tous les territoires il sème ses projets comme des graines, plante ses réalisations toujours avec la même envie.
Gilles Clément est un pédagogue. Un passeur de savoir, un sage pour qui l'essentiel n'est sans doute pas dans la démonstration, mais dans la lenteur de l'apprentissage. C'est une évidence, l'essentiel est dans la découverte et le partage. Le paysagiste est resté un entomologiste toujours émerveillé.
Oui il s'émerveille comme à son plus jeune âge. Il prend un scarabée doré entre ses doigts, il semble regarder un bijou. La Vallée aux papillons fut pour de nombreux étudiants un terrain d'étude.
Gilles Clément ne sort pas dans son jardin, il entre à l'extérieur, et souvent avec un sécateur à la main. Avec cet outil il coupe comme on gomme certains traits d'un dessin jamais achevé, il coupe sans forte application, juste pour « dégager un peu le passage ». Il ne peste même pas contre les ronces envahissantes. Il allège un arbre de quelques branches mortes, tire sur la tige d'un liseron. Bien sûr il y a des tâches qui demandent plus d'énergie, mais celle-là doit être régulière.
Et Gilles Clément écrit. La plupart du temps il écrit sur son carnet, un carnet souple. Le compagnon obligé quand on va de pays en pays. À l'intérieur : des paragraphes bien ordonnés, des fragments littéraires qui composent une oeuvre. Un jardin de mots, un paysage d'histoires, un monde de poésie et à l'écouter on finit par être persuadé que tous les jardiniers sont philosophes.
La diversité de la bibliographie est grande : essais, romans... Elle tient de la richesse d'une prairie paisible où l'on aime se poser. L'homme apprécie l'usage mesuré des mots. Il arpente les langues avec délectation.
Du mot, il en a fait un objet essentiel dans son livre Thomas et le voyageur. « L'usage des mots finit par épuiser leur contenu », dit Thomas dans ce livre de référence.
Y a-t-il une similitude entre le paysage et le mot ? « En indonésien le mot paysage n'existe pas. »
Pour parler d'écriture, l'écrivain évoque le dehors. Un saut intellectuel ? Non, un cheminement. Comme celui d'une vie qui a commencé tout petit avec les insectes. « Ce sont les insectes qui m'ont amené aux plantes. » « J'ai toujours été en retard sur tout. J'ai fait les choses en décalage. »
En fait, Gilles Clément a toujours pris son temps. Quand il a quitté sa maison une fois achevée, il devait partir quelques jours. Il est parti deux ans. •
Le calme et la lenteur n'empêchent pas la surprise. Lui-même souffrirait de ne plus jamais être étonné. Mais la surprise, elle est aussi dans ses écrits. À tel point qu'il a eu du mal à convaincre les éditeurs avec son dernier manuscrit où il est question de Dieu, Robert de son vrai nom. Un futur livre dans lequel au travers de personnages très particuliers, un problème majeur pour l'humanité se dessine.
2016 devait être une année de repos. Mais un repos très actif dont, entre autres, un travail avec l'association Les Mille Univers à Bourges. Les Mille Univers : un nom qui lui va à merveille. Il rencontre des enfants et les habitants d'un quartier. Il explique le jardin en mouvement, le jardin planétaire.
Invité aux plus grandes tables, il en sourit et continue de dessiner des jardins. Gilles Clément écrit la terre, cette terre qui parfume et inspire la main du jardinier-écrivain.
_______
Quelques exemples de réalisations
Jardin des orpins - Saint-Nazaire - Base sous marine
Cité modèle de Laeken - Bruxelles
Parc André Citroën - Paris
Jardin du musée du quai Branly - Paris - Photo : Yamauchi Tomoki
Serres du Parc André Citroën - Paris
Parc Henri Matisse - Lille - En son centre, l’Ile Derborence fait référence aux forêts primaires des Alpes suisses, vierges de toute intervention humaine.
Parc Henri Matisse - Lille - Photo : Yamauchi Tomoki
Ecole Normale Supérieure Lyon (Lettres)
Hôtel d'Evreux - Paris
Jardin de la Drac - Saint-Denis de la Réunion
Vulcania - Jardin de la faille - Puy de Dôme
Jardin de l'Arche de la Défense - Promenade des Gunneras - Paris
Abbaye Cistercienne de Valloires - Le Riverel reconstitué
Blois - Jardin des Simples
Gilles Clément dans son jardin - Photo : Yamauchi Tomoki
____
Quelques repères
1943. Naissance à Argenton-sur-Creuse (Indre).
1967. Formation d'ingénieur horticole.
1969. Formation de paysagiste.
1977.Il s'installe à Crozant dans la Creuse au bord du lac d'Éguzon.
1979. Professeur à l'École nationale supérieure de paysage de Versailles.
1997. Publication de Thomas et le voyageur, esquisse du jardin planétaire.
1999. Exposition "Le jardin planétaire" à La Grande Halle de La Villette.
2004. Publication du manifeste du tiers paysage.
2006. Publication de La Sagesse du jardinier.
2009. Publication du livre Le Salon des berces.
_____
Un être global
Professeur à l'École nationale supérieure de paysage de Versailles, Gilles Clément a signé de nombreux jardins en France - dont le musée du quai Branly - mais aussi partout dans le monde. Bien sûr, il a écrit sur les concepts qu'il a élaborés : le jardin planétaire, le jardin en mouvement, le tiers paysage. S'il est le plus connu des paysagistes français, il occupe aussi une place importante dans la littérature d'aujourd'hui. Sensible, ciselée, engagée, son écriture ressemble à ce qu'il est. Paru en 2010, Le Salon des berces raconte l'histoire de cette maison dans la Vallée aux papillons, puisque c'est là, qu'enfant, il venait observer les insectes. Il y séjourne six mois dans l'année. Ces livres sont souvent des quêtes initiatiques - Thomas et le voyageur, La Dernière Pierre... Le prochain est attendu avec impatience. L'observation du monde, de la nature, des animaux, des hommes lui a fait construire une œuvre globale.
_____
La maison de Gilles Clément à Crozant, en Creuse