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Blog photographique biodégradable

Regards

Chronique du temps présent - Métaphores

 

 

Par François Bégaudeau

 

 

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Auteur d'Entre les murs (Folio), ce remarquable roman, François Bégaudeau a travaillé à son adaptation au cinéma avec Laurent Cantet (Palme d'Or à Cannes en 2008) et l'a interprétée.


 

Il faut se méfier des métaphores, surtout quand elles sont devenues usuelles, mécaniques. Qu'un fait d'actualité soit nommé séisme n'indique pas forcément que la terre ait tremblé en quelque point du globe. Le plus souvent, il s'agit d'autre chose, par exemple d'un homme puissant inculpé d'agression sexuelle suite à la plainte d'une femme de chambre. "Séisme" ou "tsunami" suggèrent alors que l'évènement va provoquer des bouleversements d'ampleur haïtienne ou fukushimienne. Ce qui ne sera pas le cas. Il faut se méfier des métaphores : elles consomment la scission des mots et des faits.

 

Les faits encore obscurs du Sofitel de New-York n'ont bouleversé et ne bouleverseront que quelques vies : celles de la victime et du coupable présumés, celles de leurs proches. Tous les autres citoyens du monde ne verront leur existence modifiée que s'ils tiennent absolument à lier des phénomènes sans lien. En France, l'affaire DSK n'aura d'incidence sur la présidentielle que si un nombre non négligeable d'esprits confus indexent leur vote à un viol ayant eu lieu (ou pas) à 6000 kilomètres de leur urne, et dont on ne voit pas bien en quoi il infléchit les problématiques nationales du logement, du chômage, de l'insécurité, de l'éducation.

Dès sa fracassante entrée en scène, en avril 2002, le 21 du mois, la métaphore du séisme s'était caractérisée par sa vacuité. Concrètement, qu'aura changé la présence de Le Pen au second tour ? Rien. Au contraire, elle n'aura eu pour effet que d'éliminer Jospin et donc de reconduire au pouvoir le président en place. L'inverse d'un bouleversement : un statu quo.

 

Pourquoi donc cette récurrente métaphore, ou sa variante obligée le coup de tonnerre, pour désigner des non-évènements ? On doit se rendre à l'évidence que les Français, du moins ceux d'entre eux qui en usent et abusent, ont comme une envie de séisme. Comme une envie de se faire peur. Parce qu'ils s'ennuient ? Parce que nos temps pacifiés éveillent la nostalgie des grandes manoeuvres barbares ? Dans ce cas, on ne saurait trop leur conseiller de s'inscrire dans un club de paint-ball.

 

L'envie d'avoir peur est si grande qu'elle salive parfois des mois à l'avance. Dès aujourd'hui se prévoit, s'anticipe, se désire, un nouveau séisme : la présence de Marine Le Pen au deuxième tour, en 2012. Histoire de retrouver le divin effroi d'il y a dix ans, et peut-être même celui ressenti devant l'écroulement des Twin Towers, tout aussi vide de sens, tout ausi dénué de conséquences dans notre quotidien.

 

Ce traumatisme annoncé a déjà un nom : 21 avril à l'envers, éventuellement à l'endroit. Ce seul statut de répétition, ainsi que la certitude que la fille de Jean-Marie sera aussi sèchement défaite que son père, devrait d'emblée évacuer toute angoisse, mais peu importe : chaque jour pendant douze mois on va croiser une connaissance qui, tremblant de désir, dira sa crainte que Marine arrive en tête au premier tour. On argumentera en vain. On ne peut rien contre une peur amoureuse d'elle-même.

 

Le remède à cette addiction à la peur muette - voyez aussi la vogue du terme sidération depuis deux semaines - est simple : que le séisme ait vraiment lieu. Que nous votions Marine assez massivement pour la faire élire, et qu'elle nous montre combien il n'y avait franchement rien à craindre ; combien elle est incapable de revenir au franc, d'endiguer les flux migratoires, de rétablir l'ordre en banlieue, de pérenniser les petites exploitations agricoles, etc. Oh, oui, accordons-nous le spectacle de sa pathétique indigence, rigolons un bon coup, et nous en aurons fini avec cette triste comédie de la peur.

 

 

 

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M
<br /> <br /> Ais je peur de 2012 ? ais je peur du lendemain ? non, je n'ai peur que d'une chose, que la maladie de Robert évolue trop vite et qu'il se retrouve tel un légume lui interdisant une vie normal,<br /> j'ai rencontré des parkinsoniens en phase avancé, j'ai peur de ne pas tenir le coup et qu'il soit hospitalisé, j'ai peur de mourir en le laissant seul, voici mes seules peurs.<br /> <br /> <br /> tu peux croire que je suis trés égoïste, c'est la vie que nous avons qui fait que je ne pense que de vivre un jour aprés l'autre le meiux possible<br /> <br /> <br /> bonne journée<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Ta réponse est infiniment juste, lucide et émouvante Moune. Je suis de tout coeur avec toi, même si mon soutien n'est que moral et virtuel. Tu n'es pas égoïste, jamais je ne me permettrais de<br /> penser cela. Je te souhaite de tenir le coup et je souhaite à Robert une évolution très très lente de sa maladie. Bises à toi et amitiés à Robert. Bon COURAGE<br /> <br /> <br /> <br />