Blog photographique biodégradable
18 Juin 2010
Arthur Rambaud est ingénieur à la LCC (Lignous Chemical Company), à Lixhorn. Il vient de se faire "larguer" par sa compagne Chamira, informaticienne. Elle lui reprochait de l'avoir sacrifié à son travail. Le remord torture Arthur et il envisage l'éventualité angoissante de se trouver confronté à une rupture irréversible. La solitude lui pèse affreusement, ne va-t-il pas finir par céder, afin de meubler ce vide obsédant, aux sirènes des relations virtuelles via internet et ses messageries instantanées ?
Arthur amorce alors une réflexion approfondie à propos du sens du terme virtualité. Il en ressent une grande fatigue, aucune certitude n'émerge clairement de ce cheminement intellectuel. Pire que cela, il se demande au bout du compte si les mots réalité et virtualité ont encore un sens. Il se résout enfin à sortir de sa réflexion et du délire existentiel qu'elle a engendré.
J'oubliais : Arthur et Chamira ont deux enfants. Sarah, leur fille, s'est expatriée en Australie pour des raisons professionnelles. Elle y vit confortablement, certes, mais totalement isolée de ses racines familiales et de ses relations amicales. Merlin, leur fils, est encore étudiant et entretient d'excellents rapports avec son père.
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Marc Deucafais est un scientifique responsable de l'unité recherche-développement de la LCC. C'est un ami intime et également un collègue d'Arthur. Il mène apparemment une vie familiale sans histoire avec son épouse Judith, assistance d'édition. Ils ont deux enfants, Mathieu et Chédid qui constituent le sel de leur vie. Mais la situation familiale de Marc n'est pas aussi paisible et sereine qu'elle ne le parait. Marc est miné par son travail qui le prive peu à peu de ses moments d'intimité, de détente et d'épanouissement familial. L'ordinateur portable s'installe à la maison et il devient l'instrument pervers du prolongement de son activité professionnelle dans le cadre familial. Les soirées se passent sans Marc qui s'isole dans son bureau. Le surmenage l'atteint de plein fouet, son sommeil est perturbé et ses réveils sont peuplés de cauchemars et de symptômes d'agitation inquiétants.
Son travail à la LCC lui devient insupportable et il éprouve le besoin vital de se servir de son ordinateur de bureau comme d'une échappatoire en l'utilisant à des fins non professionnelles. Il envisage alors de prospecter l'univers des blogs et des blogueurs. C'est ainsi qu'il découvre le blog "en vie". La qualité photographique et la douce poésie qui émane de son contenu exercent sur lui un puissant pouvoir d'attraction. Marc n'a qu'une hâte, réintégrer la maison pour mieux se plonger dans les délices exploratoires de la blogosphère. C'est sur ces entrefaites qu'Arthur accompagné de Geneviève, la secrétaire de l'unité, alertés par la fatigue et le surmenage évidents du responsable de l'équipe, lui suggèrent de rentrer chez lui afin de se reposer. La coïncidence entre le souhait d'évasion de Marc et l'attention bienveillante de ses collaborateurs tombe fort à propos. Marc rentrera précocement de son travail cet après-midi.
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Arthur trouve dans le cadre de son activité professionnelle un dérivatif salutaire à ses problèmes sentimentaux. Il s'y plonge avec délectation et prolonge fort tard ces journées de travail. Il appréhende de se retrouver seul le soir dans son petit appartement de Lixhorn, dans le quartier populaire de Beaubeige, face à ses interrogations angoissantes et à sa solitude. Pourquoi ne pas se laisser tenter par une exploration des messageries instantanées et amorcer un semblant de dialogue avec une personne inconnue, malgré le handicap de la virtualité ?
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Chamira a vécu une enfance et une adolescence surprotégées. Sa liberté a été très surveillée. La jeune fille a été privée des plaisirs intenses et délicieux des premières découvertes amoureuses. C'est à son arrivée à l'âge adulte que l'heure de son émancipation a sonné. Elle a décidé de prendre sa liberté et de s'affranchir de la cohabitation parentale. Son père et sa mère n'ont pas accepté facilement, mais elle a tenu bon.
Sa vie d'étudiante en informatique a été très active, partagée entre ses études et son travail de surveillante d'externat dans un collège. Elle connut Arthur à cette période. Les circonstances de leur première rencontre furent peu académiques et marquées par une forte animosité. Ce conflit évolua en passion amoureuse au moment même où ils en venaient aux mains. C'est donc avec Arthur que Chamira découvrit l'amour physique.
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Marc rentre du travail très tôt, dès la fin de cette matinée, cela ne lui était jamais arrivé auparavant. Il repense avec nostalgie au temps du bonheur en franchissant le portail d'entrée. Il lui parait évident que tout cela est révolu, qu'il se trouve dans l'incapacité de s'abandonner aux joies simples de sa vie familiale et que le jardin, qu'il avait conçu avec passion et opiniâtreté, le laisse totalement indifférent.
Par contre, il est irrésistiblement et anormalement attiré par son bureau. Son ordinateur est là et il pourra, par son intermédiaire, contempler à nouveau le blog magique et ouvrir la porte du rêve et des fantasmes. Il va donc passer son après-midi à tenter de découvrir qui se cache derrière la tendre poésie de cette création virtuelle originale.
Cette approche lui parait dans un premier temps difficile et assez assimilable à la démarche expérimentale des jeunes chercheurs dont il a la responsabilité. Il se sent un peu désarmé dans un contexte qui lui est étranger. Marc comprend très vite que la première étape efficace consiste à prendre contact avec l'auteure du blog. Il lui laisse donc un message très conventionnel, juste pour lui signaler son passage et lui faire part de son intérêt pour ce qu'elle édite.
L'idée de réaliser par lui même un blog lui semble parfaite pour établir ensuite des contacts réguliers et échanger des points de vue sur des thèmes d'intérêts communs avec cette inconnue, sans être pour autant suspecté de la draguer effrontément.
Le blog de Marc se nommera "même pas mort" pour établir un lien avec "en vie" et attirer ainsi l'attention de son interlocutrice potentielle. Le design sera à l'opposé de celui du blog de "son inconnue", la teinte de fond sera claire et il adoptera le pseudonyme de "Bracciodiferro". Ses centres d'intérêt affichés seront limités à la photographie, à la musique et à la lecture. Marc ne fera absolument aucune allusion à son activité professionnelle. Le choix d'un avatar sera simple, il aura une tête de clown, d'un auguste plus précisément, cela lui ira bien.
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Judith part de la maison pour rejoindre sa maison d'édition. Elle est très inquiète à propos de l'équilibre psychologique de Marc. Elle a pleinement conscience de l'altération du comportement de son époux, de son désintérêt progressif pour tout ce qui le passionnait il y a encore peu de temps : elle même, ses enfants, la musique, le jardin, la randonnée et la photographie.
Lors d'une récente rencontre, Chamira et Judith ont longuement conversé au sujet de leurs problèmes conjugaux respectifs. Judith est persuadée que le surmenage de Marc est seul responsable de l'altération de son comportement. Elle n'envisage pas un seul instant que l'usure de leur couple puisse en être la cause.
Judith est assistante d'édition à la société Freebook, son travail n'est pas de tout repos il se partage entre les ouvrages à lire, les entretiens avec les auteurs et les réunions des comités de lecture. Elle se trouve dans l'indécision au moment d'entamer sa journée de travail et a du mal à définir ses priorités. C'est alors que son regard tombe sur un manuscrit à couverture bleu. L'auteur de cet ouvrage y aborde le sujet de la virtualité et de son impact sur nos vies. Elle en entame la lecture et le trouve intéressant. Il s'agit d'un recueil de nouvelles. L'une d'entre-elles la trouble et lui fait penser à la dérive actuelle de son époux, mais elle trouve immédiatement des arguments positifs pour tempérer ses doutes.
Elle repense soudainement qu'elle doit téléphoner à Arthur pour lui demander son avis sur Marc. Arthur ne la rassure pas, loin de là. Il lui décrit les attitudes déconcertantes de son ami dans le cadre de son activité professionnelle, son comportement parfois agressif, sa non implication dans les problèmes relationnels qui ne manquent pas de se poser dans l'équipe, sa lassitude très apparente.
Judith est dérangée dans son entretien par un coup de fil de Jacques Addict, le chef de fabrication, qu'elle n'apprécie que très peu. Encore un problème d'ouvrage jugé trop épais et donc non rentable vu les surcoûts de fabrication, d'emballage et de frais de transport. Il faudrait l'alléger en supprimant dix pages, bonjour les problèmes avec l'auteur !
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Arthur rentre chez lui, dans son appartement de la cité des lilas. Il se prépare un café et s'accorde enfin un moment de détente. Il tente de vider son esprit des sombres pensées qui l'assaillent. Mais, inéluctablement, l'absence de Chamira s'impose douloureusement à lui et il se met à réfléchir à propos des raisons qui pourraient être la cause de son départ. Une évidence se fait jour, il n'a le plus souvent perçu dans Chamira qu'une enveloppe charnelle infiniment désirable, s'est-il vraiment intéressé à ses aspirations profondes, à ses sentiments, à sa conception du bonheur ? La réponse est non, Arthur en prend clairement conscience en un instant. Cet éclair de lucidité le laisse littéralement groggy.
C'est machinalement et un peu par tristesse et désoeuvrement qu'Arthur se dirige vers son ordinateur dont il espère je ne sais quel miracle qui lui permettrait d'effacer ses sombres pensées. L'idée de se lancer dans les arcanes des messageries instantanées se fait à nouveau jour. La messagerie JRN fait l'affaire, son pseudo sera Lancelot, son périmètre de recherche se cantonnera en Auvergne et en Limousin, il sera un homme, bien évidemment.
Floriane est son premier contact, son mari est fan de foot, elle ne l'est pas du tout et recherche manifestement des rapports sexués avec un homme qui préfère le sport en chambre aux joies du stade. Arthur abrège le contact, ce n'est pas exactement le type de rencontre qu'il souhaiterait ce soir. Il doit changer de pseudonyme pour ne pas être relancé par Floriane, il sera cette fois Dulac pour garder une filiation avec Lancelot.
Il prend l'initiative de contacter Edame et s'aperçoit très vite que ce contact ne sera pas fructueux. Son interlocutrice est en quête de l'amour vrai, sincère alors qu'Arthur souhaite simplement discuter un peu et se changer les idées. Edame est une amoureuse des chats. Ils comptent nettement plus pour elle que la gent masculine. La messagerie JRN laisse à Arthur la possibilité d'inhiber son interlocutrice, cela lui évitera de changer à nouveau de pseudonyme, il ne s'en prive pas et Edame passe à la trappe.
L'ingénieur se demande s'il doit continuer son exploration, n'y a-t-il sur cette messagerie que des minables ? Mais il réagit très vite et prend conscience que ses sentiments de supériorité mêlés d'un certain mépris pour ses interlocutrices ne sont pas fondés et particulièrement injustes. Que fait-il lui aussi, bêtement assis à son bureau ? Rien de moins et rien de plus que celles avec lesquelles il tente d'établir un dialogue. Il est également en errance, il doit se remettre en cause, se percevoir tel qu'il est réellement, c'est à dire comme un homme en situation d'échec amoureux dont il est le seul responsable. Arthur doit faire impérativement un effort de tolérance et manifester une attention sincère envers les autres.
Tiens voila le pseudonyme Ariane, il me plait beaucoup malgré sa connotation fusée de l'espace. Je me laisse aller à mes intuitions et je la contacte, ça va me changer des raisonnements analytiques rigoureux qui constituent le lot quotidien de mon travail scientifique. A la question rituelle "Comment allez vous ?" Ariane répond que cela va mieux que si c'était pire .... Arthur apprend que son interlocutrice est atteinte de sclérose en plaque, que son compagnon l'a quitté par peur des responsabilités futures et que sa maladie incurable l'handicape un peu plus chaque jour. Elle trouve néanmoins le courage de questionner Arthur sur sa vie, sur ses problèmes, elle prend le temps de chercher à comprendre pourquoi il en est arrivé là. Arthur se confie, lui dévoile ses erreurs et ses faiblesses, sans rien déguiser.
Ariane lui explique que la virtualité des blogs constitue pour elle un moyen d'échapper à son handicap et de se constituer un réseau amical. Elle a toujours été attirée par l'écriture et rédiger des articles sur un blog lui permet de réaliser ce rêve avant qu'il ne soit trop tard. Le thème de ses articles est en rapport avec l'amour et la maladie, une "Love Story" en quelque sorte. Mais l'héroïne malade ne révèle rien de sa maladie à son amant. Elle préfère rompre avant que les premiers symptômes de sa dégradation physique ne soient perceptibles.
Voilà, je crois que j'ai résumé l'essentiel de ce que j'ai pu écrire dans la série des "virtuels". J'envisage de poursuivre ce travail d'écriture et éventuellement de le partager sur "Regards".
A très bientôt
Bien cordialement à tous, sans aucune exception :-)
Michel