16 Mars 2012
Un texte remarquablement écrit et très lucide qui analyse la ou les façons dont peuvent s'établir les relations amicales entre femmes et hommes, mélange de véritable amitié et d'un jeu de séduction sous-jacent.
auteure : Françoise Simpère
son blog : Jouer au monde
Dans la presse féminine, c’est un marronnier, un sujet récurrent : « l’amitié homme/femme est-elle possible ? » article se concluant immanquablement par « non, sauf avec un homme (ou une femme) assez moche pour qu’on n’ait jamais de tentation. » Dans l’esprit des rédactrices, dès lors que se pointe une once de désir, voire de simple séduction, on entre- pouah ou chouette !- dans la drague, menant inévitablement au lit, lequel signifie tout aussi inévitablement la fin de la belle amitié. En gros, entre camarades, copains, amis, amants puis amours, s’érigeraient des barrières infranchissables sous peine de fauter gravement.
Le syndrome de la tremblante du mouton se transmettant à la vache folle ayant largement démontré que les barrières infranchissables sont pour le moins poreuses, on devrait se méfier de tout ce qui catégorise et enferme. De même que coucher une fois avec un homme ne suffit pas à le consacrer amant car il en faut bien davantage pour accéder à l’intimité physique de l’autre, intimité physique qui se bâtit aussi sur une intimité affective et intellectuelle très proche de l’amitié … de même l’amitié avec un homme ne signifie pas que la relation soit totalement désexualisée. Dîner avec une amie très chère, ce n’est pas la même chose que dîner avec un ami très cher, même si dans les deux cas on va se coucher sagement après. Tout simplement parce qu’un homme et une femme sont certes égaux, mais pas identiques, l’exploration de la planète masculine à laquelle je me livre depuis des décennies m’a confirmé cette intuition. De fait, la différence sexuelle sexualise la relation même s’il n’y a pas relation sexuelle ( je me fais bien comprendre, là ?)
Alors d’où vient cette terreur des jeunes hommes d’être « relégués » par une fille au rang d’ami, qu’ils vivent comme une dégradation ? Hier encore, ayant découvert sur Internet des sites du genre « Comment la séduire à coup sûr ? » dans lesquels il était doctement expliqué que la phrase la pire que peut entendre un garçon est « J’aimerais que nous restions amis », j’en parlais à un ami trentenaire en rigolant. Lequel me soutint aussitôt que oui, c’était affreux cette phrase, que les filles disent pour se débarrasser poliment d’un mec, et qui signifie en clair « il n’y aura jamais rien entre nous ». Le « rien » voulant dire « sans sexe ». Cela m’a rappelé la réponse d’un ami à sa femme qui s’inquiétait de son amitié avec moi depuis plus de 20 ans : « Je te jure, il n’y a rien entre Françoise et moi .» Lorsqu’il m’en parla, je fus surprise que 20 ans d’amitié, pour sa femme, ne fussent rien, alors qu’un seul coït eût signifié pour elle le drame absolu. Le sexe est décidément survalorisé quand on le considère comme un péché … ce qui était le cas de cette bigote épouse.
Mais toi, jeune Padawan qui t’affirme polyamoureux et que n’effraient ni n’obsèdent les câlins, laisse-moi te dire que tu fais fausse route en dévalorisant l’amitié que t’offre éventuellement une fille. Je te le concède : pour quelques-unes, c’est une façon de dire qu’elles ne souhaitent pas faire l’amour avec toi. Ce qui n’est aucunement dévalorisant, quoi que tu en penses. Le désir n’obéit à aucun critère objectif : une fille peut désirer un crétin et ne pas désirer un homme farci de belles qualités. Qu’elle te désire ne te donne aucune valeur supplémentaire, qu’elle ne te désire pas ne t’en enlève aucune. C’est ainsi. Point. Même si c’est désagréable eu égard à l’émoi que tu sens s’ériger en ton for intérieur denim doublé coton, ce désagrément ne justifie aucunement que tu dénigres l’amitié proposée. Songe que la jeune femme pourrait répondre « Casse toi, etc… » ou encore « je n’ai pas le temps de te voir » ou même « Non, t’es trop moche, tu pues l’ail, t’es qu’une cloche »…
A l’inverse, sa proposition d’amitié témoigne d’un réel intérêt envers ta personne. Elle signifie qu’elle a envie de te découvrir, qu’elle y passera du temps vu que l’amitié, ce n’est pas un coup en passant, ça prend longtemps pour éclore et contrairement aux idées reçues, ça ne t’enlève aucune chance de devenir un jour son amoureux. On tombe plus facilement amoureux de quelqu’un qu’on apprécie que d’un illustre inconnu. Eh oui, jeune Padawan, le coup de foudre qui aboutit au coup d’un soir est certes une salve hormonale jouissive, mais elle a infiniment moins de chances de durer qu’une relation amoureuse fondée sur l’amitié et la complicité où vient se greffer le désir. Ou sur une relation de désir qui prend ensuite le temps de découvrir le ou la partenaire avec le regard inconditionnel de l’ami(e).
L’amitié homme/femme est un des sentiments les plus épanouissants qui soit, sous réserves de ne pas l’enfermer dans un cadre normatif qui lui interdirait toute escapade. C’est pourquoi j’aime tant la réponse de François Mitterrand à la question d’un journaliste : « Au bout du compte, croyez-vous à l’amitié entre homme et femme ? – Oui, au bout du compte j’y crois. Mais avant d’être allé au bout du compte, je n’y crois pas. »
Au-delà du nombre des relations, le bonheur du Lutinage est de décoller les étiquettes, de ne pas renoncer à l’amitié sous prétexte qu’on est allé au bout du compte, ni de penser que parce qu’on est allé un soir au bout du compte, le scénario devra se répéter à chaque fois. Le bonheur, c’est de ne jamais savoir comment finira la soirée. Loin du sempiternel « on dîne, on baise » ou du « je préfère qu’on reste amis » qui érigerait une barrière entre les corps, les Lutins savourent toute rencontre avec gourmandise, qu’elle qu’en soit la conclusion. Sans considérer qu’une conclusion-câlin inaugure une relation amoureuse incompatible avec l’amitié, ni qu’un chaste « au revoir, à bientôt » est une défaite pour leur désir. Ouvre tes possibles, jeune Padawan, et découvre qu’une amie-femme n’est pas un sous-produit de tes désirs frustrés…