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Regards

L'Humanité en péril - Entretien avec Fred Vargas

L'autrice Fred Vargas répond à nos questions sur son livre "L'Humanité en péril, virons de bord, toute !" portant sur l'environnement. 

 

Article du Populaire du Centre 

Publié le 23/06/2019 à 09h54

L'Humanité en péril - Entretien avec Fred Vargas
 
Avec L'Humanité en péril, virons de bord, toute ! Fred Vargas sort du champ de l'écriture de romans policiers pour alerter sur la question de l'environnement. Docteur en archéozoologie et ancienne chercheuse au CNRS, elle a étudié des milliers de documents qui lui font affirmer que l'humanité est en péril à très court terme. La lecture de son livre est un choc. Heureusement, dans ce contexte, l'autrice détaille aussi des solutions à la portée de chacun et à mettre en oeuvre au plus vite.
 
 
______
 
 

Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre bien loin du champ romanesque ?

 

« C’est la décision catastrophique prise à l’issue de la COP 24 d’atteindre + 2° de réchauffement, alors que l’ONU tirait la sonnette d’alarme pour dénoncer la passivité des décideurs face à « la plus grande tragédie » à laquelle l’humanité était confrontée, alors que le GIEC (Groupe International d’Experts sur le Climat) préconisait de ne surtout pas dépasser + 1,5°, hausse qui impactera déjà le quart du globe et mettra en péril vital la moitié de l’humanité.

A + 2° de réchauffement, c’est la moitié du globe qui sera impactée et les trois-quarts de l’humanité qui seront en péril vital, risquant de mourir de soif, de faim, de chaleur, d’épidémies. C’est donc un choix criminel de la part des gouvernants du monde.

Ce qu’il est très important que les gens sachent, c’est que + 2° est une moyenne mondiale : en réalité, il fera alors au moins + 5° sur les continents. J’ai estimé impérieux que les gens soient informés de ce que nous cache l’aberrante inertie des gouvernements et des lobbies ».

 

Votre constat est alarmant. Il vous a vous-même choqué. Y-a-t-il urgence à ce point ? Quels sont les délais au-delà desquels l’humanité ne sera plus en péril mais condamnée  ? Avec l’épuisement de toutes les ressources, y compris l’eau...

 

« L’urgence est hélas extrême et le tableau désastreux : sécheresse des sols, pollution de la quasi totalité des eaux de la planète, diminution du débit des fleuves, fonte des pôles, perte de la biodiversité, disparition massive des insectes pollinisateurs, qui assurent la reproduction de 80% des arbres et plantes de la Terre, déforestation massive (en deçà d’un certain seuil, l’humanité ne peut plus vivre), 6 e extinction de masse des espèces animales, acidification des océans, devenant donc de moins en moins capables, comme les forêts, d’absorber le CO 2 , épuisement des ressources non renouvelables (le cuivre, par exemple, dans dix ans).

L’ONU, là encore, a sonné l’alerte : nous serons en pénurie d’eau en 2025. Alors que le colossal lobby agro-alimentaire dévore 70% à 95% des eaux de la Terre (et est la première source de pollution des eaux). Si la trajectoire actuelle des émissions de gaz de serre réchauffants se poursuit, il fera + 10° sur les continents à la fin du siècle, une température qui n’est pas viable pour l’humanité. L’urgence est là : il nous faut impérativement ne pas dépasser + 1,5° et atteindre 0% d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2040. Plus tôt encore si possible, si nous décidons, en masse, de ne plus acheter les produits issus des usines qui les émettent ».

 

Comment avez-vous travaillé pour préparer cet ouvrage, cette démonstration ?

 

« J’ai lu plus d’un millier de sources et accumulé 600 pages de données qui m’ont permis d’écrire ce livre. Je l’ai voulu court, atypique, et d’un style accessible à tous ».

 

Vous dites qu’il y a de l’espoir. Quelle forme prend-il aujourd’hui ?

 

« La première étape décisive de l’espoir est l’information. Les gens savent, dans les grandes lignes, que la Terre va mal mais, dans leur immense majorité, ils ne sont pas au courant en détail des gigantesques dangers qui les menacent. Ils doivent l’être, c’est leur premier droit et ç’aurait dû être le premier devoir de nos élus, en principe responsables de nos vies. Ce n’est qu’une fois les gens informés qu’ils prendront pleinement conscience de cette situation catastrophique et seront motivés pour la combattre, en s’éloignant de la consommation des produits industriels pour abattre les lobbys productivistes multimilliardaires, qui travaillent main dans la main avec les gouvernants.

Ainsi, en réduisant drastiquement notre consommation de viande (élevée industriellement et nourrie au soja OGM), en n’achetant plus que des produits de l’agriculture biologique, en ne consommant plus de « biocarburants » (qui polluent plus que le diesel), nous sommes à même d’affaisser le lobby agroalimentaire et celui de la pétrochimie qui produit les pesticides dévastateurs.

De même en réduisant considérablement l’usage de nos voitures, en cessant d’acheter de nouveaux véhicules, nous porterions un coup très rude au très polluant lobby automobile.

En restreignant également nos achats de vêtements (l’industrie du vêtement émet 1,4 milliards de tonne de CO 2 par an), ou nos achats en matériel informatique. Mais aussi en manifestant, en signant les pétitions, et en utilisant notre bulletin de vote pour élire des écologistes déterminés qui soient indépendants et non à la merci des lobbies ».

 

En quoi le fait de cesser de manger de la viande ou quasiment serait-il salutaire ?

 

« Ah, je viens partiellement d’y répondre… Dans les pays riches, nous consommons 5 fois plus de viande qu’en 1950 (très mauvais pour notre santé). Il existe aujourd’hui sur Terre 4 animaux d’élevage pour 1 être humain ! La pression de ce terrible couple élevage-agriculture est insoutenable pour la planète.

La nourriture du bétail est une des premières causes de la déforestation, afin de pouvoir planter du soja (mais aussi du colza et des palmiers à huile pour ces carburants qui ne sont pas « verts » du tout). Cet élevage agro-alimentaire est la 2ème source d’émissions de gaz à effet de serre, voire la première, il est aussi la première cause des pluies acides et de la pollution des eaux (déversement des engrais et des pesticides en excès), il absorbe la quasi totalité de l’eau de la planète (la production 1kg de bœuf consomme 13 800 litres d’eau…), il est cause de l’érosion des sols, de l’épuisement du phosphore vital. Tableau saisissant.

En abaissant tous ensemble notre consommation de viande de 90%, nous épargnerions ainsi à la Terre un tiers des gaz à effet de serre, nous rendrions inutile la déforestation, nous lutterions contre les pesticides et contre la pollution des eaux et, nous rendrions à l’humanité la quantité d’eau qui lui est nécessaire et les sols dont elle a besoin pour se nourrir. Une action déterminante dont les effets sont donc de très grande portée ».

 

Que faire par exemple face à l’invasion de plastiques dont les océans et les paysages sont infestés ?

 

« Limiter au maximum nos achats de produits plastique, trier scrupuleusement nos déchets (1 Français sur deux ne le fait pas), ne jamais abandonner des bouteilles dans la nature, utiliser systématiquement des sacs en toile pour faire nos achats, privilégier les vêtements en fibres naturelles. Une seule machine à laver de 6 kg de vêtements en fibres synthétiques relâche dans les eaux usées, et donc dans les océans, des milliers de nanoparticules de plastique, qui alimentent cette « soupe de plastique » dont meurent les espèces marines. Et il tourne, rien qu’en France, 20 millions de machines par jour… »

 

Vous préconisez l’agriculture « bio ». Peut-elle nourrir une population qui ne cesse de s’accroître ?

 

« Toutes les études ont montré que l’agriculture biologique a un rendement égal ou supérieur à l’agriculture industrielle. Elle ne gâche pas l’eau ni ne pollue, car elle n’utilise pas de pesticides et elle apporte à chaque plante la quantité d’engrais naturels et d’eau qui lui est strictement nécessaire. »

 

Vous parlez de désinformation volontaire de la part des hommes politiques. Pourquoi agissent-ils ainsi ?

 

« Parce qu’ils sont pathologiquement prisonniers d’un modèle de société dominé par l’unique objectif de l’Argent d’abord, modèle où doivent régner la consommation en abondance afin d’assurer la fameuse croissance qui nous a menés à notre perte. Et, comme paralysés par cette névrose obsessionnelle, ils sont incapables de s’extraire de ce modèle, d’envisager un changement de nos modes de vie et de consommation, d’accepter le terme tabou de « décroissance ». Bien qu’informés de la situation du monde vivant et de l’humanité, ils s’enferment dans une sorte de déni qui leur donne à croire que la technologie nous sauvera. Mais c’est un leurre total, et elle ne nous sauvera en rien.»

 

Vous en appelez à « nous », « les gens » ? L’action individuelle n’est-elle pas vaine ?

 

« C’est ce que chacun se dit : à quoi sert que j’aille faire mes courses avec un sac en toile ou que je trie mes déchets ? Isolément, à rien, c’est évident. Mais en masse, par millions, le changement de nos comportements modifiera toute la donne. Et ce changement arrivera, qu’on le veuille ou non. Car nous arrivons au bout de la viabilité (et de la rentabilité) du modèle productiviste.»

 

Des entreprises s’emparent aussi de la question environnementale. Comment ? Le sauvetage de nos ressources et de notre environnement serait-il un gisement d’emploi, une ressource économique ?

 

« Bien sûr. C’est une des grandes facultés de l’homme que de savoir s’adapter. L’agriculture biologique aura besoin de bras, de même les déplacements par traction animale (car le temps de la fin du pétrole arrive, et vite), de même la renaissance de tous types d’artisanats, quand les industries manqueront d’énergie pour fonctionner : non seulement faute d’hydrocarbures mais aussi d’électricité.

Je prends l’exemple de la France, assise sur son énergie nucléaire : avant même la date de l’épuisement de l’uranium, dans vingt ans, se posera le problème crucial de l’alimentation en eau des très nombreuses centrales situées en bord de fleuve. La baisse déjà amorcée du niveau de ces fleuves contraindra à mettre ces centrales à l’arrêt. L’an dernier déjà, le niveau des fleuves et leur température trop élevée a nécessité la mise à l’arrêt provisoire de nombre de ces centrales. Le phénomène va se répéter et s’accélérer. »

 

Qu’est-ce qui fait la différence entre un collapsos, un survivaliste et un espérantiste dont vous parlez dans votre livre ?

 

« Les collapsologues estiment, scientifiquement, que surviendra un effondrement total de nos civilisations d’ici dix ans. On ne peut rejeter cette vision noire de l’avenir.

Les survivalistes envisagent un retour aux modes de vie anciens, basés sur un fonctionnement tribal, ou à l’opposé, font le projet insensé d’accumuler dans des bunkers des vivres pour passer ce chaos à l’abri. Pour combien de temps ? Cent ans ?

Les espérantistes, eux, sont assez « collapsoïdes » mais, luttant contre le fatalisme, ils sont en quête des idées, des moyens et des issues pour s’en sortir le moins mal possible. Pour simplifier.»

 

Votre livre est marqué par une forme d’humour. Est-il salutaire ici ? Vous a-t-il permis de regarder ces réalités en face et d’y réagir positivement ? 

 

« C’est exact, et cette forme d’humour distillé m’a aidée à traverser ce sombre paysage sans désespérer. J’espère qu’il en sera de même pour mes lecteurs.»

 

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A lire : L'humanité en péril, de Fred Vargas, éditions Flammarion, 250 pages, 15 €

 

Propos recueillis par Muriel Mingau

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