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10 Novembre 2016
Interview de l'artiste par Muriel Mingau - Le Populaire du Centre - 20/03/2016
Le sculpteur haut-viennois Marc Petit accède à une large reconnaissance. Il expose à Limoges en plein air 74 grands formats superbes et tourmentés ainsi que des œuvres de plus petites taille à la galerie Artset.
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Un mécène, François Ollandini, lui a dédié un musée en Corse. Suite à une enquête, la revue Miroir de l’Art l’a déclaré plus grand sculpteur d’aujourd’hui. Marc Petit se confie.
Nul n’est prophète en son pays… Comment réagissez-vous à la double exposition de Limoges ? Ouf?! Je désespérais de voir cela se produire un jour. L’exposition au jardin de l’Évêché et aux environs permet de montrer mes grands formats, part très conséquente de mon travail. Je n’avais jamais pu le faire à Limoges.
Vous accédez à une grande reconnaissance. Quel effet sur vous ? Un plaisir immense. Cela m’encourage à poursuivre dans ma logique de travail. Une fois dans mon atelier, je ne pense pas à ceux qui verront peut-être ma sculpture un jour. Je fais ce que je veux.
Question d’authenticité ? Exactement. Depuis toujours, j’ai cette exigence. Je pense que la reconnaissance vient de là. Je n’ai jamais triché. J’aurais pu. À 20 ans, j’aurais pu réaliser des sculptures de jeunes filles jolies, faciles à vendre. Or, même quand je ne gagnais pas d’argent avec mon travail, j’en ai toujours éliminé le « joli », pour garder l’essentiel, essayer de m’approcher de la beauté.
Beauté n’est pas joliesse. C’est l’inverse. La beauté est ce qui reste quand on a enlevé tous les enjoliveurs. C’est l’intériorité et non l’apparence. C’est le contraire du flatteur. La beauté, ça a de la profondeur. Ça sent l’humain, pas le savon. Toutefois, je ne dis pas que j’accède à la beauté. J’essaie de m’en approcher. Or à mesure qu’on l’approche, elle recule. Elle est inatteignable.
Comment est née votre vocation ? À 14 ans, en grattant un caillou. Ma sœur s’était fait tailler une cheminée. Il restait des chutes de pierre. Avec un tournevis et un marteau, j’ai creusé pour voir si c’était dur. Ça m’a vachement plu !
C’est-à-dire ? De suite, j’ai senti qu’il y avait là quelque chose à trouver. Je suis immédiatement allé acheter des ciseaux à bois pour tailler. J’ai récupéré de la pierre chez les tailleurs. Et je me suis mis à essayer de faire des petites sculptures dans la cuisine, chez ma mère, à Cahors où je vivais.
Vous n’avez plus décroché. En seconde, j’ai arrêté le lycée en disant à ma mère que j’allais devenir sculpteur.
Comment avez-vous fait ? J’ai commencé par faire un stage de tailleur de pierre. Pendant ce stage, le sculpteur René Fournier donnait des cours de sculpture. Il m’a appris le B.A.BA. Puis, j’ai pu rencontrer Jean Lorquin, grand prix de Rome 1949. Suite à ma première exposition à Cahors, il a accepté de me corriger. Nous avons échangé sur la sculpture jusqu’à sa mort, en 1999. J’avais 38 ans.
Aujourd’hui, comment naît une sculpture ? Je suis une logique plastique. Une pièce m’en inspire d’autres, une façon d’aller plus loin. C’est la sculpture qui guide la sculpture. Moi, je ne guide rien. Parfois, il y a des trous. Cela s’arrête. Alors je reprends un travail passé et je vois comment je peux l’approfondir. Une pièce peut aussi naître d’une émotion. Le Parc est dû à la naissance de mon fils aîné. Nous le mettions dans un parc. Je trouvais cela terrible, carcéral. Je savais que je ferais une pièce pour le montrer. Ma sculpture doit aussi beaucoup à ma grand-mère, sa tête, sa prestance, sa façon de se tenir. À la terrasse d’un café, j’ai vu un jour une déesse, la plus belle femme du monde. Elle avait 90 ans, voire plus. Je suis sûr que cette inconnue a nourri ma sculpture.
Tourment et beauté caractérisent vos œuvres. Vous ressemblent-elles ? Je suis tout entier dedans.
Tourmenté ? À l’atelier. En dehors, j’aime la vie, l’amitié, rire, boire un verre. Je suis bon vivant. Mais le tourment est au fond de moi. Il s’exprime à l’atelier. Là, il a le droit.
Sculpter est douloureux. C’est terrible. À l’atelier, on alterne moments où l’on se prend pour un génie et moments, beaucoup plus nombreux, où l’on se sent moins que rien. Dans les années 2000, pendant trois mois, j’ai détruit tout ce que je faisais. C’était atroce. Ma femme était inquiète. Puis, s’est produit un miracle, j’ai utilisé le bois pour la première fois. Parfois pour créer, il faut détruire. Il existe aussi des moments de grâce. Certaines œuvres naissent comme une évidence, une jubilation…
Vous êtes fidèle au bronze. C’est le matériau le plus adapté à mon travail. J’ai aussi besoin de savoir que mon travail durera après moi.
Une lutte contre la mort ? Bien sûr ! Elle me hante. Depuis que je suis né, je sais que le temps m’est compté. C’est dans ma nature.
A quoi sert l’art, la sculpture ? À poser des questions et ne pas y répondre…
Muriel Mingau
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Photographies prises dans le cadre du Jardin de l'évêché, à Limoges, le 15 mai 2016